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Par Eric Ruiz
« Prenez garde au levain des Pharisiens et au levain d’Hérode ».
En relisant ce verset de l’Évangile de Marc chapitre 8, je m’aperçois que décidément la religion a toujours fait bon ménage avec la politique.
Les Pharisiens, d’un côté, avec leur grand mouvement religieux de l’époque de Jésus dans lequel Paul de tarse est sorti… et de l’autre côté, le roi romain Hérode, roi du Judée qui fait figure de puissance politique ; Tous deux possèdent le même levain, la même pâte qui se lève parce qu’elle est faite d’hypocrisie, d’orgueil et de mensonge.
Avec le levain, que remarque-t-on ? Le pain gonfle; il se voit de plus loin, Il fait plus vrai; Il est plus beau, il attire, il donne envie. Avec ce levain, le politique cherche à séduire, à se faire voir, il parait beau parce qu’il semble rempli de paroles de vérité.
Pour le croyant religieux, c’est la même chose que le politique. Mais creusons un peu plus.
Et posons-nous la question si depuis le 9 décembre 1905 (date de la loi sur la séparation entre l’Église et l’État en France), la religion est-elle si bien séparée que cela de la politique ?
Je vous
pose cette question parce que je suis tombé à l’improviste sur un livre, une
petite note de Simone Weil, d’une trentaine de pages (qui s’écrit avec un W,
une femme philosophe à ne pas confondre avec la femme politique qui a été à
l’origine de la dépénalisation de l’avortement) ;
et donc cette femme, philosophe française, juive d’origine, qui se tournera vers Christ, très courageuse a vu ses écrits publiés en 1950 après sa mort.
Ce petit livre : « Note sur la suppression générale des partis politiques », fait figure d’une véritable bombe contre les partis politiques, mais il devrait aussi s’adresser aux gens d’Église tellement la similitude est grande.
D’ailleurs,
elle écrit, je cite : « il n’y a pas grande différence entre
l’attachement à un parti et l’attachement à une Église ».
(En parlant d’Église, je pense, et je pense que vous ferez comme moi une différence entre foi chrétienne et foi en Christ)
Donc,
c’est une bombe que Simone Weil amène avec son analyse des partis politiques. Elle
regarde quelles sont leurs matériaux de construction et comment se fait cette
construction qui amène inévitablement au totalitarisme.
1-
LA PRESSION SUR LES PENSEES : premier matériau
Si on regarde le cheminement des idées dans un parti politique, il s’exerce une véritable pression collective sur la pensée de chacun de ses membres. Cette pression est le ciment, ce qui solidifie le parti.
Si on s’en tenait juste au fait que ses membres partagent les mêmes opinions et les mêmes valeurs, il n’y aurait, certes, rien d’inquiétant.
Là où
l’inquiétude gagne, c’est que les idées sont contrôlées. Le pluralisme est
banni.
Ils ont imaginé
« la doctrine » de ce qui est bien du bien public.
Le
pluralisme, quant à lui, serait d’accepter des idées divergentes de la fameuse doctrine
du parti, d’accepter des idées contradictoires.
Or, dans
les faits, aucune idée qui diverge de la doctrine du parti ne doit être
prononcée. On doit prendre parti pour ou
contre, un point c’est tout ; mais ne pas laisser s’exprimer d’idées
contradictoires qui ferai prendre le risque d’affaiblir le parti, de prendre le
risque de créer de la division.
Si bien
qu’adhérer à un parti politique c’est renoncé à exprimer une idée
contradictoire, c’est renoncer à
l’exercice de la raison critique. Car la raison critique menace de
fragiliser la stabilité du parti.
Simone
Weil emploi des mots très forts sur les partis politiques en ce sens, qu’il porte
en eux le germe du totalitarisme.
Et l’Église, (pas celle de Christ) celle que l’on connait, celle que l’on fréquente ou que l’on a connu n’a-t-elle pas elle aussi ce germe ?
Tout comme
les partis politiques l’Église des nations, n’accepte aucun pluralisme, aucune
idée divergente par rapport au dogme établi.
-
Jésus
guérissant les malades, le jour du Sabbat, sa nouvelle doctrine c’est vue
rejeter comme celle d’un démon, par les pharisiens.
On ne
discute pas avec un démon, point.
Si vous ne
laissez pas vos désaccords au vestiaire, vous montrez votre dissidence, votre
désobéissance à l’autorité, comme dans un parti.
Le danger pour le parti, c’est que cette dissidence gagne d’autres membres du groupe et quelle provoque des scissions, des clans qui viendront rompre l’unité.
Les
conséquences sont terribles pour la liberté de penser.
En prenant
une position « pour » ou « contre » une opinion, en
cherchant des arguments selon le cas, soit pour, soit contre, on crée les conditions de la pensée mécanique,
c’est-à-dire la non pensée.
Pour Simone Weil, l’esprit de parti fait sacrifier la pensée sur l’autel du consensus, elle fait passer les intérêts du groupe avant la vérité.
Les assemblées chrétiennes qui éloignent toutes pensées autres, font passer elles aussi les intérêts du groupe avant la vérité.
Or, la foi
ne supporte pas le mensonge. C’est ce que nous dit Jésus, dans Jean
4 :23 :
« les
vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ».
Et si la
vérité n’est plus recherchée par chacun comme un assoiffé, eh bien adorer Dieu
revient à l’adorer sans l’esprit et sans la vérité ; c’est donc être un
faux adorateur du Père.
Parce qu’avec un tel sacrifice, la vérité est sacrifiée sur l’autel des intérêts.
Notre
écrivaine juive dit une chose très juste d’ailleurs sur la recherche de la
vérité : « C’est en désirant la vérité à vide et sans tenter d’en
deviner d’avance le contenu qu’on reçoit la lumière ».
Arrêtons, c’est vrai, un instant de nous référer à nos crédos, à nos Bibles, à nos recueils savants et venons à la vérité, « à vide », comme un enfant, ouvert à ce qui vient de l’extérieur.
Le désaccord, c’est quelque chose de
positif qui ferait
évoluer même la doctrine d’un parti. Mais pour le parti comme pour le
groupement religieux, le désaccord rompt cette doctrine et l’idée divergente
sera perçue comme une déloyauté, comme le germe de la trahison.
Dans les faits, la pensée du groupe se
substitue et écrase même la pensée individuelle.
On n’attend ni du militant politique ni du croyant qu’il exprime des idées, mais qu’il soutienne les idées, les idées du parti, comme celles de son mouvement clérical.
Maintenant,
les esprits totalitaires évoqueront toujours ce qui les faits trembler : la
trahison.
D’ailleurs
cette trahison fait réfléchir sérieusement sur nos choix.
Car un
choix s’impose : celui d’être fidèle à la ligne du parti, aux principes et
aux dogmes de son groupe religieux ou bien au choix d’être fidèle à ses
pensées.
Si on suit
sa pensée, on reste fidèle à soi-même, mais on trahit le parti ou le groupe
religieux. Et si on suit le parti on lui reste fidèle, mais c’est soi-même
qu’on trahi. Et dans le cas d’un croyant, c’est l’esprit saint qu’il trahi
alors, s’il trahit sa pensée.
Donc dans
les deux cas il y a trahison.
Et le
dilemme du militant (et j’ajouterai, comme celui du croyant qui dans un Église
devient lui aussi un militant) c’est un dilemme d’ordre moral, c’est choisir
qui trahir.
Et tôt ou tard
le membre du parti (comme le membre d’une Église aussi) sera confronté à ce
dilemme. Et ce jour-là il devra trahir, trahir le parti, trahir son groupe ou
se trahir lui-même.
Beaucoup choisiront, on le
sait, puisqu’on le voit à grande échelle, de se trahir soi-même en politique
comme dans la foi.
Et les conséquences sont terribles d’abord pour soi-même, car la honte nous envahit à ce moment-là, la honte d’avoir choisi les pensées de cette génération (qui est adultère et pécheresse) plutôt que d’avoir choisi les paroles venant de l’Esprit saint et qui divergent de la doxa ecclésiale.
Par
exemple : Si vous adhérer à votre groupe religieux, qui proclame haut et
fort qu’il porte en lui les élus de Dieu, et si votre lumière intérieure vous
dit qu’ils sont aussi et surtout ailleurs, vous trahissez votre âme.
Et
regardez ce que dit Jésus pour ceux qui trahissent leur âme…
« Que donnerait un
homme en échange de son âme? (dit Jésus) Car quiconque aura
honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et
pécheresse, le Fils de l'homme aura aussi honte de lui, quand il viendra dans
la gloire de son Père, avec les saints anges. »(Marc 8 :37-38).
La
honte n’est pas dans le fait de se taire, la honte est dans le fait de trahir
son âme.
Beaucoup sont près à vendre leur âme au parti politique ou à leur groupe religieux en se soumettant à leur parti pris, en se soumettant à la pression de leur pensée, à leur mensonge.
Passons maintenant à un autre matériau
qu’évoque Simone Weil :
2-
LA RECHERCHE DE LA CROISSANCE ABSOLUE.
Un parti politique n’est pas un club de
réflexion.
Un parti politique comme l’assemblée religieuse cherche avant tout à faire avancer ses idées, à les promouvoir. Par la propagande pour les premiers, par l’évangélisation pour les deuxièmes.
Le parti politique n’a pas d’autres fins que
sa croissance, et pour cela il doit faire taire les voix dissidentes quand bien
même elles seraient du côté de la vérité.
En
fait, « dès lors que la croissance du parti devient l’unique but du parti
(et par association celui des Églises) , il s’en suit inévitablement une
pression collective sur les pensées des hommes. Cette pression se voit dans les
faits, elle s’étale publiquement nous dit l’écrivaine. Elle est avouée, proclamée ».
Dans les Églises par exemple, la soif de croissance pousse les prédicateurs à exercer une pression qui va jusqu’à l’oppression sur la pensée de leurs fidèles, pour qu’ils ne discutent pas, mais qu’ils persuadent ; donc le choix des mots sert l’Église mais pas la vérité.
Il faut se rendre à l’évidence, et Simone Weil a raison de dire que les idées ne triomphent pas parce qu’elles sont vraies, les idées triomphent parce que la force est de leur côté (la force de persuasion).
Donc le parti politique, le groupe religieux
ne se donne pas le choix : il doit gagner en force d’adhésion,
concrètement il doit grossir. Le but de l’un et de l’autre c’est la croissance
illimitée. Le camp politique, comme l’étiquette religieuse est alors très fort
et très discriminant. Et tout ce qui n’est pas lui représente une menace
envers son pouvoir.
Il y a une citation connue qui affirme que « toute personne qui n’est pas moi est mon adversaire ».
Donc, il faut bien comprendre que le but du
parti, comme celui du groupe de foi n’est plus d’instaurer un bien commun mais
le but a été confondu avec les moyens, puisque le moyen : « croître indéfiniment » est devenu le
but.
D’un côté le slogan est : faites des adhérents, de l’autre : le slogan c’est faites des disciples.
Le but, nous dit Simone Weil, n’est plus d’instaurer le bien au sein du parti, le parti devient le bien lui-même.
Le parti politique, le groupe de foi devient lui-même sa propre fin.
ça va très
loin puisque tout ce qui va contribuer à favoriser la croissance du groupe est
un bien, même le mensonge, y compris la compromission.
L’intérêt général du parti comme l’intérêt général du groupe religieux est nettement supérieur à la vérité.
Simone
Weil va même par écrire : « Si on confiait au diable l’organisation
de la vie publique, il ne pourrait rien imaginer de plus ingénieux ».
Le bien est changé en mal. « Malheur à ceux qui appelle le mal bien et le bien, mal » (Esaïe 5 :20)
J’en reviens
à la pression collective sur la pensée : Dire la vérité revient alors à trahir
les intérêts du parti, ou ceux de l’Église, elle fait perdre des voix, des
collectes, des adhérents, des fidèles.
Mais c’est
quoi cette vérité ?
La nôtre. C’est
quand nous restons fidèle à cette part de « lumière
intérieure » ; c’est elle cette lumière, ce discernement qui nous
empêche de mentir, nous dit l’écrivaine.
Être loyal vis-à-vis du parti ou de son assemblée c’est donc : être déloyal vis-à-vis de la vérité.
Et même si
on ne connait pas toutes les lois du parti l’essentiel est d’y adhérer et de
s’y soumettre par principe.
Car le grand but n’est pas d’avoir
raison, le but c’est de convaincre d’avoir raison.
Pour
conclure, je dirai qu’il y a bien un conflit d’intérêt entre ses propres pensées
perçues comme justes ou vraies et l’attachement à un parti, ou l’attachement à
une Église qui sacrifie la vérité pour le pouvoir.
Simone
Weil définit le mensonge ainsi : le mensonge naît dans « les pensées
de ceux qui ne désirent pas la vérité ».
Jésus dit,
lui, qu’ils ont préféré les ténèbres à la lumière.
Ce qui m’amène
à évoquer avec elle, l’écrivaine juive, un autre matériau de construction,
c’est :
3- LA
PASSION COLLECTIVE.
L’apôtre Paul
recommande à Timothée de fuir les passions de la jeunesse. : » Fuis les passions de la jeunesse, et recherche la
justice, la foi, la charité, la paix, avec ceux qui invoquent le Seigneur d'un
cœur pur. » ;
Aux Galates, Paul leur montre que ceux qui sont à Christ
ont « crucifier la chair avec ses passions et ses désirs.»
Jacques dit que demander mal c’est demander dans le but de satisfaire ses passions. (Jacques 4 :3).
Simone
Weil n’emploie, bien sûr, pas ses mots dans ce contexte, mais regardez ce
qu’elle démontre :
Le parti
politique cherche à attiser les passions collectives. Pourquoi ?
Parce que
le pouvoir ne se construit pas sur de la vérité mais sur de la croyance, il se
construit sur de la passion.
Quand des
partisans se basent sur leurs passions, ils font confiance à leurs émotions, à leur
sensibilité, ils ne font plus appel à leur raison.
Et la
passion devient l’instrument principal de manipulation des partis.
« Les partis politiques sont des machines à fabriquer de la passion collective ».
C’est leur
carburant, ils puisent leur énergie dans la passion collective, car cette
énergie va tout simplement les amener au pouvoir.
Comment ?
par la propagande, (et dans l’Église, par l’évangélisation).
Cette énergie, il faut le répéter ne s’appuie pas sur la raison. Elle pousse à l’idolâtrie, au fanatisme au crime en bande organisées.
Cette
énergie, (et là c’est moi qui parle), est le carburant principal aussi des
groupes religieux.
Faire
monter les passions, les émotions autour de pensées émanant d’un discours, d’un
sermon, ou autour d’un acte surnaturel, ou autour de prophéties, tout cela
annihile la raison.
Alors, les principes du bien sont oubliés en cours de route, au profit du résultat (la croissance du groupe).
Je ne dis
pas comme Simone Weil de supprimer ou de rompre avec tout regroupement
religieux comme avec tout parti politique.
Je dis
qu’il est indispensable de fuir les passions, de ne plus rechercher les émotions
collectives. Mais de se réunir fraternellement en cherchant le bien commun, en
déliant les langues pour que les pensées s’expriment. La vérité de l’Esprit
saint doit être entendue. La pensée exprimée et débattue est la base de la
communion fraternelle.
Enfin,
bannissons le mal, bannissons cette intention satanique de rechercher le
pouvoir et la croissance de son groupe.
Ne cherchons pas à nous agrandir, à faire des disciples. Mais laissons l’Esprit saint faire lui-même ses choix, et laissons les Juda, s’il y en a, s’exprimer dans l’assemblée.
Car, c’est
seulement à ce prix que le levain d’Hérode, ou l’esprit de parti fuira loin de vous. C’est seulement à ce prix
que nous pourrons chasser le mal et éloigner cette tentation de la passion.
L’ennemi
n’est pas l’Église institution avec sa volonté de pouvoir ; l’ennemi :
c’est la tentation de trahir sa pensée, celle qui vient de Christ.
Les seules
idées qui triompheront dans le corps de Christ seront celles émises par des
frères et sœurs libérées des matériaux des partis ou des Églises organisées.
En fuyant
la passion collective, nous fuirons l’idolâtrie, c’est le combat d’un
sacrificateur de Dieu.
Jésus nous a bien dit de nous garder du levain, mais pas de nous garder des institutions ou de les anéantir. Soyons remplis de sagesse et de justice dans nos choix.
Ne donnons
pas l’occasion au mal de grandir par nous : Favoriser la non pensée, vouloir
plus d’adeptes et nourrir la passion collective ne sont pas les matériaux du
Saint-Esprit mais ceux de l’esprit totalitaire, du diable.
Amen
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