dimanche 2 février 2020

LA PASSIVITÉ: UN DÉFAUT ou UN DON SPIRITUEL ?

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Par Eric Ruiz

Ce 19 janvier 2020, j'étais encore au lit le matin, vers 9h00, dans un demi-sommeil, quand une idée forte vint finir de me réveiller : la passivité est une force.


Je me suis vu alors faire l'éloge d'un caractère, qui n'est pas très à la mode surtout dans les temps qui cours :
La passivité.

Se contenter de subir les événements, de ne faire preuve d'aucune initiative; en n'accomplissant aucune action personnelle; avec même un certain manque d'énergie. Tout cela rebute celui qui trouve son plaisir et son accomplissement dans l'action (pour moi, c’est un vrai contre sens, mon métier d’enseignant en EPS est basé sur l’enseignement de l’action, l’opposé de la passivité).
Notre société moderne nous enseigne, dès notre plus jeune âge, à agir sur les événements, sans les subir ; et qu'il est négatif de rester sans ne rien faire.

"L'oisiveté est la mère de tous les vices". Ça c'est la leçon de morale ; et l'homme intelligent dira: c'est à nous de changer le court des choses et de maîtriser notre destiné.
Mais tout n'est pas aussi manichéen et aussi tranché que cela.

Être actif est une bonne chose, comme à d'autres moments être passif peut s'avérer être la meilleure attitude. D'ailleurs, la passivité ne veut pas dire forcément de ne pas agir.
L’immobilité prend racine le plus souvent, c'est vrai, dans la résignation, la peur ou la paresse.
Or, celui qui est passif peut avoir un comportement déterminé, qui demande une force morale, dans la volonté de rester sans réagir.
Il est parfois beaucoup plus difficile de rester sans réagir, que de se lancer à corps perdu dans l'action.
Déjà, parce que ne rien faire abîme sérieusement notre image de soi.
Eh oui : Qui aime passer pour un mou, pire pour un profiteur ou un lâche?

C’est pourtant l’idée que laisse se propager notre société qui a sacralisé le travail. Parce que : être oisif, ce n’est pas ne rien faire, c’est ne pas avoir de travail.
La morale qui s’est propagée est celle-ci : Travailler met à profit des connaissances, des compétences, un capital, des richesses et le travail rend libre et en cela le travail a été associé à la bénédiction.
L’oisiveté a même été considérée comme l’ennemi de l’âme : un véritable démon.

L’Eglise officielle, l’Eglise d’Etat,  sacralise le travail car derrière la souffrance et le don de soi se cache la véritable cause : la possibilité pour elle de bénéficier de revenus supplémentaires provenant de classes sociales différentes. L’ouvrier, le petit salarié peut ainsi ajouter sa pierre à l’édifice religieux par des dîmes, des offrandes et des dons, divers).

Pour Jésus, le travail n’a jamais été un combat, ou un lien. Bien au contraire
Jésus payait l’impôt par un miracle ou il multipliait la nourriture lorsque le besoin s’en faisait savoir.
Il savait que son Père pourvoirait à ses besoins et à ses proches d’une manière comme d’une autre.
Est-ce pour cela qu’il faille bannir le travail ? Non pas du tout.
Mais nous ne devons pas en faire un but d’émancipation et de réussite, comme aussi un instrument de jugement : « son travail lui rapporte beaucoup : c’est bien, il a de la valeur; il ne travaille pas où son travail est perçu comme peu honorable, cette personne est quelconque, pire c’est un parasite ».
C’est comme pour le sabbat. Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat. Eh bien pour le travail c’est la même chose : Le travail est au service de l’homme, qui ne doit pas en être esclave lui-même.

Jésus n’était pas contre le travail, il a laissé Simon Pierre pêché toute la nuit ; mais il s’est opposé d’une certaine manière à l’attitude de Pierre. Lorsqu’il s’est impatienté, ou lorsqu’il perdit courage face à une pèche infructueuse (il avait pêché toute la nuit sans rien prendre).
Jésus, patiemment, s’est assis dans une des barques et enseignait, puis (toujours patiemment) « lorsqu’il eut fini de parler, il lui dit «  avance là où l’eau est profonde et jetez vos filets pour pêcher ».
Nous connaissons bien-sûr la fin : ce fut une pêche miraculeuse.
Jésus avait moins comme but d’en mettre plein la vue aux autres que de montrer une foi basée sur l’amour du Père. S’occuper du royaume en premier et tout nous sera donné en surplus (voilà le message que Jésus voulait faire passer !).
Donc, se retrouver démuni, sans travail, sans voir d’utilité sociale n’est pas forcément une malédiction.
C’est même parfois la porte ouverte à de nouvelles solutions.
Les ouvriers de la onzième heure qui attendaient là, sans aucun travail ; ont été quand même inspiré à être au bon moment et au bon endroit puisqu’ils ont été embauchés pour travailler dans la vigne du viticulteur ; et même si le travail était presque fini, ils ont été payé comme ceux qui ont travaillé la journée entière. Ils n’ont, par conséquent, pas perdu leur temps (un fameux pied de nez au dicton bien connu : «  le temps c’est de l’argent »).

Par conséquent Jésus-Christ, mais aussi les prophètes comme le prophète Jérémie confirment  cette attente salutaire : « …Pour l’âme qui le cherche, il est bon d’attendre en silence (« en repos » nous disent Ostervald, Martin…) le secours de l’Eternel » (Lamentations 3 :25-26).

N’oublions pas que c’est dans le désert que Dieu prépare ses prophètes. Il les amène dans un endroit où plus rien ne peut les aider. Ils sont coupés du monde pour une bonne raison : afin de devenir dépendants du secours de l’Eternel.
Ils se sentent mourir à eux-mêmes, mais le désert à cette vocation : l’abnégation, ne plus se sentir exister, pour regarder ailleurs que vers soi.
Jésus de Nazareth a souvent dérouté ses adversaires avec cette attitude d’abnégation, cet état reposé, complètement détaché et aucune réponse,  silencieux face aux mépris, aux insultes, à la violence physique même.
Et ce n’est pas tout : il dormait dans le bateau, avec ses disciples, pendant la tempête ;
il est aussi resté inactif, quand il a appris la maladie de Lazare.
Personne dans son entourage n'a compris pourquoi, pendant deux jours, il a attendu que Lazare se meurt de sa maladie, avant de prendre le chemin de Béthanie.
Maintenant qu'on le sait c'est beaucoup plus facile de le comprendre.

Dans le jardin de Gethsémani, Jésus est resté là à attendre qu'on vienne le chercher pour l'arrêter et l'amener devant les juges. Pierre ne comprenait pas que Jésus ne fasse rien contre les soldats qui venaient l'arrêter et il a sorti sa dague pour les repousser.

On reproche aux êtres passifs de ne pas prendre leurs responsabilités, et de laisser les événements agir à leur place.
Eh bien, dans le cadre de Jésus, c'était exactement ses intentions. Il laissait les événements suivre leur court. Comme s’il voulait laisser pourrir la situation. Il n'intervenait pas.
Pourquoi ?
Parce qu'il savait qu'une puissance invisible anticiperait les événements à sa place.
D'ailleurs, n'est-ce pas juste après eux qu'eurent lieu les plus grands prodiges?
Toutes les résurrections ont été précédées d'un long moment d'inertie (un peu comme le calme qui précède la tempête) : la résurrection de Lazare comme celle de Jésus ont été précédées d’une grande inactivité.
Car c'était encore sans compter sur un fait essentiel :

Le Père est en lui et lui est dans le Père.

L'action du Père est invisible. Donc quand Jésus n'agissait pas, le Père en lui, agissait.
Faire les œuvres du Père ce n'est pas s'étourdir d'œuvres en tout genre.

Je sais, cette position rebute fondamentalement l’esprit religieux qui aime influencer directement l’autre. L’évangélisation d’ailleurs est enseignée, dans beaucoup de congrégations chrétiennes, comme une guerre à mener : Il faut se battre contre l’ennemi, il faut lutter contre les démons, il faut se battre contre les esprits contraires qui sont implantés au plus profond de l’incroyant. Il faut prendre l’ascendant spirituel sur l’autre pour l’influencer et le motiver à agir différemment.
Cette guerre spirituelle est d’ailleurs beaucoup plus une forme de Djihad islamique qu’un acte purement chrétien. On parle du paganisme qui a influencé le christianisme, mais l’islam a aussi son lot d’influences sur les chrétiens.
Se battre pour établir quelque chose de nouveau : C’est une subversion du vrai christianisme. C’est l’esprit de l’Egypte (la double oppression) qui agit alors : l’esprit de l’islam (je développerai cette idée très bientôt).

Notez bien, la guerre spirituelle, avec Jésus, n’existe pas.

Jésus semble même capituler, renoncer face à la force extérieure.
Le fils de Dieu ne s'est pas défendu, il s'est même laissé conduire comme une brebis qu'on amènerait à la boucherie. Et là je fais référence bien-sûr au célèbre passage du livre d'Esaïe chapitre 53.
Pourquoi un tel comportement est signe aussi d'un caractère de disciple de Christ?
Parce que Jésus est fils de l'homme et par conséquent il montre au vrai homme, à l'homme qui veut devenir comme lui, accompli, où se trouve la puissance, la véritable sagesse : la puissance puise sa source dans l'obéissance.

Le disciple puise alors lui-aussi ses forces dans l'obéissance. L'obéissance à qui?
A un mentor, à celui qui a reçu un ministère, celui que beaucoup montre comme prophète ou peut-être tout simplement l’obéissance aux principes de la foi que la religion vous a enseigné depuis si longtemps ?

Non, ce schéma classique doit être abandonné ; l’obéissance, ici n’a aucun principe, aucune règle ; c’est envers une puissance invisible que se trouve la vraie soumission.

Cette puissance invisible c’est celle de notre Père, celui que personne ne voit, qui est au ciel, c'est-à-dire dans une dimension inaccessible.
Nous pouvons néanmoins correspondre et même s'unir à lui, en montrant notre soumission. Mais cette soumission est comme celle de Jésus, le fils avec le Père, il n'y a aucun rapport hiérarchique.

Pourtant Jésus semble dire le contraire : « Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père; car le Père est plus grand que moi. »
 La notion de grandeur par la force, par le pouvoir est une notion très proclamée par le philosophe grec ou par le dirigeant romain. Donc c’est très occidental de penser ainsi.
Est-ce pour autant qu’il faille coller cette idéologie aux orientaux qui ont écrits les Evangiles ?
Ici, c’est Jean (Jean 14 :28) qui relate les mots de Jésus.
L’idée maitresse de ce contexte est de montrer que le Père est plus grand car il n’a aucune limitation. Jésus dit qu’il s’en va mais qu’il revient et qu’il va vers une dimension supérieure : le Père.
Le Père n’est pas enfermé et réduit à un corps physique, dans un espace ou un temps donné. Il est dans une liberté totale pour agir.
La différence se voit tout simplement dans la comparaison entre un prisonnier ligoté et emmuré ; et un être totalement libre. La comparaison est d’ordre libertaire plutôt que hiérarchique.

L'image la plus parlante et la plus représentative, est celle des deux chérubins en or pur se faisant face à genoux et couvrant le propitiatoire de l'Arche de l'Alliance avec leurs ailes.
La relation homme-Dieu n'a rien à voir avec celle d'un valet avec son maître. Cette soumission au contraire permet que l'homme, comme Dieu, soient tous deux au même niveau.
Cette relation bannit de ce fait toute idolâtrie disant que Dieu est le maître absolu, qu'il est le Seigneur des Seigneurs, qu'il est le tout puissant devant sa créature qui, elle, n'est rien.
Cette relation n'existe que dans le cœur et la pensée du religieux qui pense s'abaisser en élevant l'autre.

Mais attention, n'inversons pas les rôles : c'est l'homme qui s'est remplit d'orgueil et de suffisance. C’est donc à lui de s'abaisser et non le contraire. Dieu le Père lui ne change pas, sa position d'humilité a toujours été la même. Il est toujours resté à genoux.
Voilà la vraie relation celle qui permet que Christ vive en nous par l'Esprit saint : se faire face à genoux et regarder dans la même direction (le cœur).

Mais pourquoi à un moment nous devenons sourds à ses recommandations ?
Lorsqu'on nous n'entendons plus le Seigneur, c'est qu'il nous parle à genoux tandis que nous, nous sommes relevés et passés debout.
Lui chuchote ou murmure, mais notre oreille est trop haute pour l’entendre distinctement. Elle n'entend que des mots par-ci par-là. Impossible alors de connaître sa volonté et ses projets. Et notre attention se fixe alors non plus vers le cœur, mais vers l’apparence.
Voilà pourquoi l'orgueilleux se coupe lui-même de la voix de Dieu.

Obéir à Dieu : c’est la seule loi qui rend libre, parce que lui seul est libre et qu’il peut tout.
Jésus de Nazareth en avait pleinement conscience et il montrait cette voie royale en étant entièrement soumis au Père ; et la liberté… commence par l’inaction complète.
Obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes c'est la seule porte possible vers le ciel.

Alors, nous devons persévérer dans la patience. Ce fruit de l’esprit montre une altitude calme, reposée et passive, qui  laisse la place à notre époux, car sans lui nous ne pouvons qu'agir humainement en refaisant toujours les mêmes erreurs.
Combien prient… et agissent dans la foulée, précipitamment, pour se montrer qu’ils ont une foi agissante.
Ils pensent que Dieu leur répondra dans l’action ; Mais ils n’ont pas entendu la voix du Père puisqu’ils ont choisi eux-mêmes, d’où viendrait leur secours.
Ils se sont précipités dans l’action en se forçant à croire que la foi sans les actes n’est rien.  Mais, ils ont oublié qu’ « il est bon d’attendre en silence, en repos, le secours de l’Eternel ».

Passons maintenant au degré supérieur, au premier commandement
": Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée".

Ce commandement montre en fait les limites humaines, car aimer Dieu de la sorte est impossible dans notre état d'homme et de femme.
En clair : nous devons pour aimer Dieu, cesser d'être aimé, ou être persécuté par la haine des autres, ou encore ne plus avoir de considération pour notre âme;
Pour l'aimer de toute nos forces, nous devons ne plus avoir de force pour aimer ;
Pour avoir une relation proche avec lui, nous devons ne plus avoir de communion avec les autres; et pour l'aimer de toute notre pensée, nous devons être rendu incapable d'élaborer une théologie quelconque, être rendu au point même d'être incapable d'élaborer un choix cohérent, être vide et sans réponse pour son avenir.
Donc l'incapacité humaine rend possible la capacité divine.
Rappelez-vous Jonas, et les marins prisonniers d’une tempête qui devait les amener inévitablement à périr, n’avaient plus aucune solution. Leur désespoir les rendait dans l’incapacité de réagir.
Et c’est alors que les marins se sont convertis.
Job disait dans sa résignation à mourir : « Pourquoi espérer quand je n’ai plus de force ? Pourquoi attendre quand ma fin est certaine? ».
Donc pour en revenir à la passivité, pour agir avec Dieu nous devons être capable d'attendre passivement son réveil, son signal qui est un cri d’amour qui vient de l’intérieur et qui nous motive à agir (rappelez- vous ce cri : c’est le voile du temple qui se déchire de haut en bas.
Il y a alors une prise de conscience lumineuse de sa propre condition humaine.
Le premier tonnerre a lieu dans ces conditions, où toute action est superflue et ne sert à rien ; mais où la lumière vient éclairer nos ténèbres ou celles des autres.

Exerçons notre force. Soyons passifs dans les moments difficiles pour que le secours nous vienne de l’Eternel, Christ notre sauveur.
Amen

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